Interview: Tatiana Kosintseva

15 septembre 2006


Tatiana Kosintseva (2479) Photo @ Europe-Echecs

Tatiana Kosintseva est née le 11 avril 1986 et vit à Arkhangelsk, une ville portuaire sur la mer blanche de plus de 400.000 habitants au Nord de la Russie. Elle s'entraîne souvent avec sa sour aînée Nadezhda aussi talentueuse qu'elle. Son palmarès est déjà très impressionnant, pour l'essentiel un titre de championne d'Europe des moins de 10 ans et de 18 ans, deux titres de championne de Russie en 2002 et 2004, une victoire au tournoi «Accentus Ladies» à Bienne en 2005 et dernièrement la meilleure performance de l'équipe de Russie, médaille d'argent à Turin aux dernières Olympiades avec une performance de 2598 avec 9,5 points sur 12 au 2 ème échiquier.

GB: Ici à Lausanne vous avez été particulièrement impressionnante face à Gashimov. Votre attitude devant l'échiquier est singulière. Vous n'avez pratiquement pas quitté votre chaise et votre visage reste impassible. Vous semblez dotée d'un pouvoir de concentration extraordinaire.

TK: Je calcule tout le temps, je cherche des variantes, y compris sur le temps de mon adversaire!

GB: Depuis peu vous bénéficiez des leçons d'un entraîneur fameux, Youri Dokhoian qui n'est autre que celui qui a accompagné Garry Kasparov tout au long de sa carrière. Travaillez-vous souvent ensemble?

TK: Depuis un an, ma sour et moi travaillons de manière irrégulière avec lui, essentiellement pour préparer les tournois auxquels nous participons.

GB: Avez-vous beaucoup d'expérience dans les confrontations avec les grands-maîtres masculins? A Lausanne cette année, vous avez démontré, avec la championne indienne Humpy Koneru que vous pouviez faire jeu égal.

TK: Non, j'ai très peu joué contre des hommes. Le plus fort GM que j'ai rencontré est Dreev, lors de l'Open de l'Aeroflot à Moscou en 2006. C'était une partie très intéressante mais j'ai perdu.

GB: Que pensez-vous des tournois mixtes?

TK: C'est une très bonne idée, surtout pour progresser. Les femmes jouent trop entre elles. En ce qui me concerne, j'aime les compétitions féminines très fortes comme le championnat de Russie. Je peux prendre davantage de risques que contre les hommes.

GB: Quelle place a l'ordinateur dans votre préparation? Utilisez-vous encore les livres d'échecs ou utilisez-vous seulement les bases de données?

TK: L'ordinateur est devenu indispensable pour analyser, comme les bases de données, pour être informé de l'actualité. Je télécharge régulièrement les parties sur « TWIC » pour tenir ma base de données à jour. Par contre je n'utilise que peu les livres.

GB: Envisagez-vous une carrière de « pro » avec le titre mondial à la clé? Que pensez-vous de la nouvelle règle de la FIDE qui permet de défier le tenant du titre mondial en déposant le prize money sur la table (1.000.000 de dollars pour les hommes) et un Elo de 2500 (2700 chez les hommes)?

TK: Oui, j'aimerais bien devenir professionnelle. Le titre est bien sûr un objectif et cette nouvelle règle de la FIDE est intéressante et si l'on trouve un sponsor pourquoi ne pas en profiter!

GB: Pour vous quelle est la cadence idéale pour jouer une partie normale? Préférez-vous le KO ou l'ajout de temps à chaque coup.

TK: Je préfère jouer avec un ajout de temps. La cadence idéale est 1h 40 + 30 secondes pour 40 coups et puis 30 minutes + 30 secondes pour terminer la partie.

GB: Avez-vous un style ou un joueur qui représente un modèle de jeu qui vous inspire?

TK: J'aime le jeu actif, l'initiative, l'attaque. Mes modèles sont Alekhine et Kasparov.

GB: Apparemment vous réussissez à jouer au plus haut niveau tout en poursuivant des études universitaires. Comment vous organisez-vous?

TK: Depuis 4 ans j'étudie le droit à l'Université. C'est très dur mais j'ai la chance de pouvoir aménager mon temps et choisir les dates de mes examens.

GB: Les échecs professionnels sont-ils un handicap pour une femme? Peut-on concilier l'idée de poursuivre une carrière et de mener une vie de famille? Judith Polgar ne semble plus aussi accrochée par le jeu depuis sa récente maternité.

TK: Pas vraiment, je pense qu'on peut quitter pour quelques temps la compétition et revenir au sommet sans trop perdre la main contrairement à d'autres sports.

GB: Le 21 septembre va débuter le match qui devrait réconcilier le monde des échecs: Kramnik-Topalov à Elista. Avez-vous un commentaire à apporter sur le sujet?

TK: Ce sera un match vraiment intéressant. Topalov est en grande forme ces dernières années et a pratiquement tout gagné. Kramnik a montré qu'il revenait à son meilleur niveau à Turin. Pourtant, je ne pense pas que le vainqueur soit le champion du monde reconnu par tous. Anand est un prétendant légitime. Pour moi la formule idéale est la réunion des 15 ou 16 meilleurs joueurs du monde avec une formule KO comme l'a fait la FIDE. Le champion conserve le titre pour une année ou deux et le remet en jeu en participant avec les autres joueurs au prochain cycle.

GB: A part le jeu, avez-vous un autre projet ou d'autres intérêts?

TK: J'adore le tennis de table, sortir avec des amis, aller au cinéma. Je n'envisage pas pour l'instant une carrière d'avocate ou autres. Je veux devenir joueuse professionnelle d'échecs.

GB: Merci et bonne continuation dans le tournoi.

Interview fait avec la collaboration de Robert Fontaine.

Georges Bertola
Responsable du Service de Presse